Cent ans de mécanique quantique : Science interroge la nature du réel
Cent ans après la mécanique quantique, les physiciens interrogent le rôle de l’observateur dans la réalité
Un siècle après la naissance de la mécanique quantique, ses paradoxes fondamentaux continuent de bousculer notre conception de la réalité. Dans un long article publié le 4 décembre 2025, la revue Science revient sur une évolution marquante de la physique théorique contemporaine : la remise en question croissante de l’idée d’une réalité objective et absolue, indépendante de l’observateur.
La mécanique quantique, élaborée à partir de 1925 par Werner Heisenberg et Erwin Schrödinger, a profondément transformé la compréhension du monde atomique. Si elle demeure l’une des théories les plus prédictives de l’histoire des sciences et le socle de nombreuses technologies modernes, son interprétation demeure aujourd’hui encore débattue. Au cœur de ces controverses se trouve le problème de la mesure : comment un système quantique aux états multiples et indéterminés acquiert-il une valeur définie lorsqu’il est observé ?
Longtemps dominante, l’interprétation dite de Copenhague admettait le caractère indéterminé du monde quantique tout en évitant de préciser ce qui constitue réellement une « mesure ». D’autres approches ont tenté de préserver une réalité objective, en postulant l’existence de variables cachées ou de mécanismes physiques sous-jacents. Les expériences de type tests de Bell, menées depuis les années 1970, ont cependant fortement contraint ces hypothèses, suggérant que certaines propriétés n’existent pas avant d’être mesurées.
Ces difficultés conceptuelles sont aujourd’hui ravivées par des prolongements du célèbre paradoxe de « l’ami de Wigner », dans lequel deux observateurs peuvent légitimement attribuer des états différents à un même système physique. Des travaux théoriques récents, appuyés par des expériences de plus en plus sophistiquées, suggèrent qu’il pourrait être impossible de maintenir simultanément l’idée d’événements absolus et celle d’une causalité locale conforme à la relativité.
Dans ce contexte, des interprétations dites relationnelles ou informationnelles gagnent en visibilité. Le physicien Carlo Rovelli défend ainsi une mécanique quantique relationnelle, selon laquelle les propriétés d’un système n’existent qu’en relation avec un autre système. De son côté, Chris Fuchs promeut le QBism (Quantum Bayesianism), une approche dans laquelle l’état quantique reflète les croyances d’un agent sur les résultats possibles de ses interactions avec le monde, plutôt qu’une description objective de la réalité.
Ces perspectives, encore minoritaires il y a quelques décennies, rencontrent un écho croissant, notamment chez les jeunes chercheurs. Un récent sondage publié dans Nature montre que les cadres relationnels et informationnels figurent désormais parmi les interprétations les plus soutenues par les doctorants et chercheurs en début de carrière. Des philosophes des sciences, initialement critiques, reconnaissent également leur capacité à résoudre certains paradoxes internes à la théorie.
Si ces approches suscitent de vifs débats — certains physiciens estimant que la mécanique quantique reste incomplète, notamment en l’absence d’une théorie quantique de la gravité — elles convergent vers une idée forte : l’observateur ne peut plus être entièrement exclu de la description du réel. La science ne décrirait plus un monde totalement indépendant de l’expérience, mais un ensemble de régularités relatives à des points de vue situés.
Au-delà de la physique, ces discussions résonnent avec des questionnements plus larges sur la place de l’expérience, de la subjectivité et du sens dans la connaissance scientifique. Comme le souligne l’article de Science, si cette relativité des faits reste imperceptible à l’échelle de la vie quotidienne, elle pourrait s’avérer aussi fondamentale pour notre compréhension du monde que l’a été la relativité du temps et de l’espace au XXᵉ siècle.


