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Recension de Renaud Evrard d’un ouvrage sur la psychologie de la croyance au paranormal
Irwin, H.J. (2009). The Psychology of Paranormal Belief. A Researcher’s Handbook [La Psychologie de la Croyance Paranormale : un guide pour les chercheurs]. Hertfordshire : University of Hertfordshire Press.
Harvey J. Irwin a enseigné la psychologie et la parapsychologie durant 25 ans à l’Université de New England (Australie) et a acquis une réputation internationale pour ses recherches sur la psychologie des croyances paranormales et des expériences exceptionnelles. Il a publié en particulier An Introduction to Parapsychology (Mc Farland, 1989, cinq éditions) qui est maintenant l’ouvrage de référence pour les cours de parapsychologie à travers le monde.
Dans leur courte préface, Caroline Watt et Richard Wiseman décrivent avec justesse le point de départ de ce récent ouvrage d’Irwin :
« Ceux qui se disent sceptiques pourraient se demander pourquoi tant de chercheurs perdent apparemment leur temps à étudier les causes et les conséquences de croyances qui sont évidemment fausses. Si c’est le cas, ils ratent le coche. Les croyances paranormales sont très largement répandues dans la population : autour du monde, les sondages montrent de façon consistante qu’environ 50 % des gens ont une ou plusieurs croyances paranormales et, parmi eux, environ 50 % croient avoir vraiment vécu une expérience paranormale authentique. Que ces croyances ou expériences soient "correctes" ou non, elles constituent clairement une part importante de ce qu’être humain veut dire. » (p. viii)
Irwin part des sondages sur les croyances dites paranormales pour distinguer les catégories qui sont ainsi désignées. Il en dénombre 10 : superstitions, processus psi, arts divinatoires, systèmes ésotériques de la magie, thérapies New Age, spiritisme, croyances mystico-religieuses orientales, croyances religieuses judéo-chrétiennes, extraterrestres, et créatures cryptozoologiques. Il cherche ensuite à en extraire une définition opérationnelle :
« Une croyance paranormale est définie de manière pratique comme une proposition qui n’a pas été attestée empiriquement d’une manière satisfaisante pour la communauté scientifique mais qui est générée au sein d’une communauté non-scientifique, et qui est intégralement acceptée par des personnes dont le groupe social attendrait qu’elles soient normalement capables de pensée rationnelle et d’examen de la réalité. » (pp. 16-17)
Cette définition a le mérite de rendre compte de la diversité importante des croyances rangées dans cette catégorie, tout en excluant les croyances idiosyncratiques, les délires psychotiques et les croyances dues à un développement immature, ainsi que les hypothèses scientifiques en attente d’une évaluation empirique (p. 17). En rebaptisant « croyances scientifiquement inacceptables » (p. 109) ces croyances, Irwin problématise explicitement le rapport de la science à la croyance, rappelant que le paranormal en est l’interface par excellence.
L’objet ainsi découpé a fait l’objet d’un nombre important de travaux qu’Irwin recense exhaustivement (références allant de la page 129 à 176 !). L’ouvrage se présente comme un guide pour les chercheurs facilitant la poursuite de travaux vers les voies les plus prometteuses et vers celles où les incertitudes sont les plus grandes. Pour ce faire, les appendices réunissent 14 échelles élaborées de 1925 à 2001 qui sont d’une très grande utilité, tout autant que les index des auteurs et des thèmes.
Le découpage du livre est très cohérent et rigoureux. Sont d’abord analysées quelques notions sur les influences socioculturelles sur la croyance au paranormal (chapitre 2, 22-34) et les données psychométriques de la croyance paranormale (chapitre 3, 35-50). S’il est évident que diverses structures socioculturelles influencent de façon claire la forme ou le type de croyances paranormales auxquelles une personne adhère, l’intérêt des psychologues se porte plutôt sur le pourquoi une personne sera plus encline à adhérer à telle ou telle croyance (ou incroyance) paranormale.
L’auteur analyse donc les principales tentatives pour expliquer la genèse et le maintien de ces croyances en les regroupant en quatre hypothèses, chacune subdivisées de façon précise : l’hypothèse de la marginalité sociale (chapitre 4, 51-66), l’hypothèse de la vision du monde (chapitre 5, 67-76), l’hypothèse du déficit cognitif (chapitre 6, 77-90), et l’hypothèse des fonctions psychodynamiques (chapitre 7, 91-106). Systématiquement, l’auteur montre les forces et les faiblesses de chacune de ces hypothèses et aboutit au constat que les données empiriques ne valident pas les premières caractérisations simplistes des croyants au paranormal comme des personnes socialement marginales, subjectivement orientée, cognitivement déficiente ou psychologiquement dysfonctionnelles (p. 128).
Ainsi, « si la marginalité sociale a une influence considérable sur la force des croyances paranormales, elle ne peut pas être le seul facteur impliqué dans une théorie viable de la croyance paranormale. En effet, le simple fait que plusieurs croyances paranormales sont acceptées par une majorité de la population semble disqualifier à lui seul l’hypothèse de la marginalité sociale a priori » (p. 66)
De même, l’hypothèse de la vision du monde qui interprète la croyance paranormale comme un produit d’un large subjectivisme, d’une approche humaine basique pour « donner du sens au monde », n’est pas très convaincante. Les personnes qui croient au paranormal ne vivent pas nécessairement dans un rejet de la science objective (p. 73). Irwin réinterprète les données empiriques confortant l’hypothèse de la vision du monde comme soutenant une dynamique de personnalité : une vulnérabilité perçue pour des événements incontrôlables et le besoin d’un sentiment de contrôle qui en découle. C’est aussi en ce sens que sont compris les données en faveur de l’hypothèse des fonctions psychodynamiques : les croyances paranormales, « qu’elles soient réalistes ou délirantes, peuvent amener un bien-être psychologique en agissant comme un tampon contre les dures réalités du monde » (p. 104).
L’hypothèse du déficit cognitif est plus populaire. Il est courant que les croyants au paranormal soient dépeints comme illogiques, irrationnels, crédules, naïfs et stupides. Souvent cette dérision sceptique est pratiquée en partie pour discréditer la recherche parapsychologique comme entreprise scientifique légitime. Mais certaines variables comme l’influence de la variable démographique relative au « niveau d’éducation » se sont montrées inconsistantes (p. 78-79). Cette hypothèse semble être plus efficace en tant qu’instrument de polémique pour les commentateurs sceptiques plutôt que comme théorie de la croyance paranormale fondée empiriquement (p. 90). Irwin suggère toutefois que les conclusions sont mieux décrites par « d’autres processus cognitifs potentiellement moins péjoratifs à l’égard des croyants au paranormal (par exemple, la créativité et le style de raisonnement) » (p. 90).
L’ouvrage s’achève sur la présentation d’un modèle théorique intégratif qui avait été déjà presque complètement publié (chapitre 8, 107-128). Il se présente comme un modèle causal de la croyance dans les phénomènes scientifiquement inacceptables qui tente de rendre compte des aspects complexes du développement des croyances paranormales, en partant des premières expériences de diminution de contrôle durant l’enfance.
Dans tout l’ouvrage, le problème se pose de distinguer des croyances, des attitudes et des interprétations de vécus qui seraient alors premiers. C’est-à-dire que « la croyance paranormale a de toute évidence une certaine influence sur le comportement et constitue quelque chose de plus qu’une simple abstraction cognitive » (p. 69). Les données de la recherche comme celles de la clinique (Belz, 2008) pointent que le recours au paranormal n’est pas tant un symptôme qu’une solution possible à des conflits psychologiques.
References
Belz, M. (2008). Aussergewöhnliche Erfarhungen. Göttingen : Hogrefe, coll. « Fortschritte der Psychotherapie ».